Salaün Magazine n°7 - page 94

Salaün
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Cet après-midi, je suis à Soweto, à l'endroit
où se déroula cette tragédie. Sur place se
dressent un mémorial et un musée érigés
en l'honneur de ces jeunes Noirs qui, à
l'image d'Hector Pieterson, sont morts
pour la justice et la liberté. Tout près de
là, se trouve la rue Vilakazi. « C'est la
seule rue au monde où ont vécu deux prix
Nobel de la paix : Desmond Tutu et Nelson
Mandela », me dit Nathi. Ces lieux cultes,
devenus touristiques et incontournables,
attirent beaucoup de visiteurs, mais ne
doivent pourtant pas occulter la réalité
d'aujourd'hui.
Soweto, acronyme de South Western
Townships, est situé à 15 km de Jo'burg
et compte environ 3 millions d'habitants.
Cette gigantesque banlieue a considérable-
ment changé ces vingt dernières années,
mais continue, hélas, d'abriter encore
quelques quartiers misérables, comme
celui de Kliptown, par exemple, que Nathi
tient absolument à me montrer.
Il est inutile d'avoir une autorisation pour
y entrer, mais il est vivement recom-
mandé d'arriver ici en compagnie d'un
représentant du quartier. Nathi connait
bien ce secteur et sait qu'il peut compter
sur Xolile. Celui-ci, qui fait office de
guide local, est affable, mais me met
tout de suite en garde contre un excès
de zèle. Je ne pourrai pas aller partout ni
prendre de photos sans son autorisation.
« Quelques journalistes, peu scrupuleux et
sous-estimant la misère sociale qui sévit
dans ce bidonville, n'ont pas toujours
un comportement digne et s'exposent,
en retour, à des violences de la part des
habitants », me livre Xolile. Le message
est clair et encore plus explicite quand
nous descendons cette rue poussiéreuse
et défoncée, bordée de chaque côté par
une succession de grillages brimbalants.
Ici, derrière chaque clôture, se cachent
des baraques en tôle ondulée de toutes les
couleurs. La nation arc-en-ciel, même sous
un beau soleil, fait grise mine cet après-
midi. Xolile nous demande de patienter
quelques instants sur la rue, le temps pour
lui de se diriger vers un de ces logements
de fortune. Une porte déglinguée, deux
fenêtres rouillées, le chiffre 46 peint à
la main sur la tôle blanche, des cailloux
et des pneus posés sur le toit : c'est ici
qu'habite Mme Nosiwe M. Elle vit ici, sans
eau ni électricité, avec ses deux garçons
de 17 et 15 ans. Son mari est décédé il y
a dix ans. Dans la pièce principale où elle
nous accueille, sont disposés un buffet,
une table, un canapé-lit, des ustensiles de
cuisine et des objets personnels. De l'autre
côté, se trouvent un grand lit réservé à
ses enfants, des piles de vêtements et
quelques produits d'hygiène. Elle n'a pas
de salaire fixe, mais parvient à survivre
grâce à quelques travaux de ménage, de
lessive et de jardinage qu'elle effectue dans
les quartiers aisés de Soweto. Beaucoup
ici, comme Nosiwe, attendent de bénéfi-
cier, de la part du gouvernement, d'une
maison en dur équipée d'une douche et
de W-C. Un projet ambitieux de reloge-
ment (Reconstruction and Development
Program), lancé en 1994 par l'ANC, a
permis la construction de 3 millions de
logements sociaux. Ce chiffre, hélas, est
encore insuffisant et certains, face à la
lenteur et la corruption de l'administra-
tion, n'hésitent pas à critiquer fermement
la politique gouvernementale. Mais
Nosiwe, comme beaucoup d'anciens nés
sous le régime de l'apartheid, continue
pourtant de faire confiance à l'ANC. Elle
préfère ne pas évoquer la délinquance et
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