Salaün Magazine N°6 - page 44

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visages. Les plus petits, fascinés par
notre présence préviennent leurs parents
«wahasa, wahasa», comprenez des «blancs
et étrangers ». La nuit tombe vite et les
petits commerçants installés en bord de
route disposent des bougies sur leurs
petits comptoirs de bois. L'électricité est
encore rare sur la côte est et le carburant
employé pour faire tourner quelques rares
groupes électrogènes coûte très cher. Une
pénurie qui a cependant le mérite d'offrir
un tableau saisissant au voyageur qui
traverse ces villages plongés dans une
pénombre à peine contrariée par les feux
de cuisine, les petites bougies et une frêle
ampoule suspendue ici et là.
A Vatomandry, sur la côte est, l'aube nous
offre un spectacle époustouflant : la sortie
en mer des pêcheurs en pirogues faites
de troncs évidés, à la stabilité douteuse.
Après s'être lentement avancés hors de
l'embouchure de la rivière, ils luttent
pendant des dizaines de minutes pour
parvenir à franchir une dangereuse barre
de vagues au-delà de laquelle ils pourront
pêcher. Sur la grande plage de sable, leurs
épouses et enfants observent, inquiets, la
progression de leur proche. De quoi donner
un goût particulier à l'impressionnante
langouste épicée que nous dégusterons
le soir-même chez Cong-Cong, le patron
de la Casa Dorio, notre hôtel, composé de
bungalows traditionnels, comme la plupart
des établissements malgaches.
Un long fleuve tranquille
Entre-temps, fête nationale oblige, c'est
au village de Maintinandry, à une grosse
demi-heure de piste, que nous sommes
attendus. Ici, l'association Amitié Mada-
gascar-Bretagne a installé plusieurs puits
d'alimentation en eau potable. Nous
sommes accueillis comme des dignitaires
par les chefs municipaux, religieux et
traditionnels du village et par un spectacle
de danse donné par les enfants et les
femmes du village. Un frisson parcourt
le président d'AMB lorsque nous sommes
invités à prendre place dans les mêmes
pirogues que celles entrevues le matin
même, pour une balade sur le canal des
Pangalanes, long de 700km, qui relie les
embouchures de rivières sur l'océan Indien.
La balade sur le delta de la Sakalina est
un moment de pure communion avec
la nature. Tandis que le soleil décline
par-delà le cordon dunaire qui sépare le
canal de l'océan, les troupeaux de zébus
traversent la rivière à la nage sans se
soucier de notre pirogue. Pas plus que de
celles des derniers fêtards qui rejoignent
des hameaux isolés de l'autre côté de la
rivière. Sur une des rives, un bac rouillé
est à demi enterré dans le sable, au bout
d'un chemin. « C'est la route nationale,
nous annonce Naivo dans un sourire.
Elle est coupée maintenant car il n'y a
plus de bac. » Partout, on a l'impression
que dès que le carburant, le goudron, les
véhicules, l'eau ou l'électricité viennent
à manquer, le mode de vie traditionnel
reprend naturellement le dessus, sans que
les Malgaches, un des peuples les plus
résilients de la terre selon certains, ne
semblent s'en inquiéter. Une seule voiture
pour ce village de 9000 habitants où l'on
pratique les paris autour de combats de
coqs, où la cuisine se fait à même le sol à
deux pas de la case, où la vie est rythmée
par la pêche et un peu de maraîchage. Ni
vraiment africain, ni aussi créole qu'à la
Réunion, toujours marqué par ses liens
avec sa terre d'origine, l'Indonésie, le
peuple malgache affiche une certaine
réserve, un calme qui n'interdit pas des
soubresauts violents lorsque la corruption
ou la pauvreté deviennent insupportables.
Dans le rétroviseur, à la sortie du village,
un jeune Wasaha, le seul des environs, me
fait un signe d'au revoir. Délégué par une
ONG américaine, il va passer deux ans à
Maintanandry pour aider les habitants à
améliorer leur hygiène et leur santé. La
nuit tombe bien loin de son Colorado
natal, mais le cour généreux fait fi des
En haut, à gauche, un lémurien, ou Maki, dans la forêt de Mantadia.
A droite, un troupeau de zébus traverse une rivière sur le côte est de l'île.
La route vers Tamatave traverse
des paysages charmants dominés
par « l'arbre des voyageurs»
Ci-dessous, petit commerce au bord de la route nationale.
A droite, caméléon dans la forêt de Mantadia.
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