Salaün
Magazine
| Page 35
UNE CAPITALE
SOUS TUTELLE
Lorsque les puissances européennes et la Russie décident d’intervenir pour
libérer la Grèce du joug ottoman, à la fin des années 1820, la Grèce va subir
de profondes transformations. En choisissant Athènes pour capitale, en plaçant
un monarque allemand, puis britannique à la tête du pays, en finançant le
jeune État, ils vont modeler ce pays en fonction de leur propre idée de ce que
doit être la Grèce. Les sujets chrétiens hellénophones de l’Empire ottoman
que sont les Grecs depuis cinq siècles vont voir leur paysage se transformer.
Athènes, un bourg de 5 000 habitants, devient capitale, se pare d’édifices néo
classiques conformes à l’image que l’Occident se fait de l’Antiquité mais aussi
de l’avenir de la Grèce. Même la langue sera refaçonnée et épurée par les
linguistes occidentaux. Les élites, notamment athéniennes, se plient aux désirs
de leurs financeurs, quitte à se couper de leur peuple et devenir dépendants de
l’extérieur. La Grèce sera d’ailleurs ruinée par les dettes envers ses financeurs
à plusieurs reprises. Tout en idéalisant une Grèce disparue il y a 2 500 ans, les
Occidentaux vont souvent se révéler méprisants envers la Grèce contemporaine,
son héritage ottoman et orthodoxe, sa population essentiellement montagnarde
et balkanique ou encore méditerranéenne et îlienne. Conscients que les
Occidentaux ne les comprennent pas ou les prennent pour quelque chose
d’autre, les Grecs vont développer un fort patriotisme et une hyper sensibilité
aux questions qui touchent à leur souveraineté et leurs frontières. La crise que
traverse le pays depuis la fin des années quatre-vingt était prévisible pour
beaucoup. Aux dépenses militaires et de prestige importantes – notamment
lors des J O de 2004 – s’ajoutent un clientélisme atavique et une incapacité
à collecter l’impôt, notamment auprès des plus aisés. Plus grave, depuis son
accession à l’Union européenne, l’économie grecque est de moins en moins
tournée vers la production. Pour compenser cette faiblesse, l’État s’endette
et doit faire face à un emballement de la dette à partir de 2008. Les mesures
d’austérité qui se succèdent depuis n’ont pas porté leurs fruits et la population
s’impatiente. S’il est difficile de résumer la crise et surtout d’y trouver des
remèdes, un voyage en Grèce permet de comprendre qu’une grande partie
de la population s’est sentie trahie et acculée par ses élites, qu’elle juge
manœuvrées par les États européens, à commencer par l’Allemagne. Rien
n’a donc beaucoup changé depuis le
xix
e
. Ce qui n’empêche pas les Grecs de
se sentir plus modernes et européens qu'on ne le pense souvent. On peut se
mettre en colère envers ceux qu’on aime le plus.
Ci-dessus : slogans revendiquant davantage de justice économique et
sociale au cœur d’Athènes. C’est ici, près du ministère des Finances,
que des centaines de femmes de ménage licenciées du ministère ont
campé des mois durant pour exiger leur réintégration. Cette photo d’un
gant de ménage, symbole de leur lutte, a fait le tour du monde.
Page de gauche : Delphes, tombeau cylindrique sous un Tumulus.
voyage. Il était également musicien et
inspirait le cœur des Muses. C’est par
l’intermédiaire de la pythie – une villa-
geoise vierge choisie parmi les habitants
de Delphes –, qui entrait en transes
qu’Apollon rendait ses oracles, charge
aux prêtres d’interpréter ou d’orienter le
sens de ces transes. Assez endommagé,
le temple d’Apollon n’en est pas moins
fascinant, surtout si l’on se prend à ima-
giner les oracles livrés par une pythie
nourrie aux feuilles de laurier hallucina-
toires et peut-être même rendue ivre par
un gaz qui remontait des profondeurs
de la colline. Outre le temple d’Apol-
lon, le théâtre où se tenaient les fêtes
de Delphes ne manque pas de charme.
Il pouvait accueillir jusqu’à 5000 per-
sonnes. En haut de la cité antique, le
stade est lui aussi bien conservé. Le mu-
sée de Delphes est un des plus modernes
du pays et vaut le détour. On y admire
notamment l’omphalos de Delphes, une
pierre conique qui représente le nombril
du monde, ainsi que le célèbre aurige
de Delphes, une statue de bronze du
v
e
siècle représentant un conducteur
de char participant aux jeux panhellé-
niques de Delphes.
Le village moderne de Delphes, qui cou-
vrait encore le site antique au
xix
e
a
été détruit, puis reconstruit sur conseil
des archéologues français. On peut
notamment s’y arrêter pour déguster
de délicieux mezze. C’est ici que nous
gouterons les meilleurs dolmades du
voyage, ces feuilles de vignes farcies
au riz et aux herbes, parfois aussi à la
viande, qu’on retrouve dans tout l’an-
cien Empire ottoman. Manger en Grèce
est un véritable plaisir. Il est impossible
de citer ici tous les plats emblématiques
du régime grec. Citons cependant le
fava, purée de fèves, les croquettes de
morue, la salade d’aubergine, la feta
REPORTAGE |
La Grèce continentale