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Salaün

Magazine

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LA GUERRE EN CROATIE

C

est aussi à un plongeon dans l’histoire récente des

Balkans que nous invite un voyage en Croatie. Dubrovnik

fut en effet elle-même l’objet d’un siège terrible mené

par l’armée yougoslave, du 1

er

avril 1991 à mars 1992.

Opposant une résistance héroïque à ses assaillants, la ville essuya

près de 2 000 tirs d’obus, mais ne plia pas. Ils firent près de

90 victimes civiles et plusieurs centaines de militaires. L’attaque de

l’armée yougoslave, qui visait à prendre le contrôle de la région de

Dubrovnik et l’intégrer à un futur Etat serbe, endommagea 55% des

bâtiments de la vieille ville.

Difficile d’évoquer en termes simples les multiples raisons qui ont

provoqué la guerre des Balkans. Mais c’est bien en Croatie que

la logique de guerre s’est imposée. Malgré quelques combats, la

petite Slovénie voisine avait pour sa part assez facilement acquis

son indépendance de Belgrade en une dizaine de jours, début

juillet 1991. Mais dans les deux autres républiques yougoslaves,

la Croatie et la Bosnie, le gouvernement central yougoslave de

Belgrade allait s’opposer par la force aux aspirations à se doter

d’États indépendants, pourtant exprimées démocratiquement par

les populations locales. Avant même la déclaration d’indépendance

de la Croatie, les dirigeants serbes qui dominaient la Yougoslavie

apportèrent leur soutien politique, puis militaire, aux communautés

serbes de Croatie. Ces dernières cherchèrent à prendre par la

force le contrôle des territoires de Croatie où ils vivaient en effet

depuis des siècles. Ils étaient inquiets, spontanément ou à force de

propagande, de leur avenir dans une Croatie indépendante. Pour le

comprendre, il faut rappeler que l’animosité entre les peuples serbe

et croate était nourrie par de profondes racines. Pour les Serbes

de Croatie, il n’était en effet pas question d’oublier que les Croates

avaient eux-mêmes procédé à l’exécution de centaines de milliers

de Serbes pendant la Seconde Guerre mondiale. Témoin de ce

drame, le terrible camp de concentration de Jazenovač.

Tout a curieusement commencé dans le parc national de Plitvice,

dont les Serbes locaux ont pris le contrôle par la force, en

mars 1991, en vue d’établir une nouvelle république serbe dans la

Krajina. Ils y vivaient depuis l’époque austro-hongroise, lorsqu’ils

avaient été déplacés du sud des Balkans pour venir peupler et

renforcer les régions frontalières de l’Empire ottoman, dont la Krajina

croate. Déterminés à contrôler cette région et l’étendre jusqu’au

littoral, les Serbes firent aussi le siège de Zadar et de Šibenik,

deux villes qui, si elles étaient tombées, auraient permis de relier

la Serbie à l’Adriatique. Face au spectre de la grande Serbie, les

Croates allaient cependant redoubler d’ardeur et leur armée finit par

l’emporter en Krajina et sur la côte dalmate en 1995. Mais la Croatie

orientale, frontalière de la Serbie, fut aussi touchée par le conflit. À

l’automne 1991, c’est à Vukovar, que le ton des années de conflit

à venir fut donné. Cette belle ville croate de Slavonie orientale, à

l’architecture baroque, fut en effet brutalement assiégée par l’armée

yougoslave et les paramilitaire serbes d’août à novembre 1991,

sous le regard consterné des Européens et de leurs dirigeants, qui

assistaient impuissants au retour de la barbarie sur le continent.

À Vukovar, les victimes se compteront par milliers, civils ou

militaires, de part et d’autres des belligérants. Privés d’aide

humanitaire, affamés et terrés dans les caves, les habitants et les

combattants croates finirent par se rendre le 18 novembre 2011.

Après la chute de Vukovar, plusieurs centaines de civils et militaires

furent arrêtés et exécutés arbitrairement avant d’être enterrés dans les

premiers charniers de la guerre des Balkans. En plus des victimes

et disparus, près de 30000 personnes du district de Vukovar furent

déplacées. Le nettoyage ethnique avait commencé. Vingt ans après

la fin de la guerre, les traces physiques mais surtout psychologiques

du conflit affectent encore la vie des Balkans. Elles sont d’ailleurs

visibles dans de nombreux lieux de mémoire, comme ceux de

Vukovar, où tout est mis en œuvre pour que l’on n’oublie pas les

heures sombres. C’est une visite éprouvante mais aussi terriblement

édifiante pour quiconque s’intéresse à l’histoire contemporaine.

REPORTAGE |

La Croatie

À gauche : dans la vieille ville de Dubrovnik subsistent encore des traces de la guerre. À droite : Vukovar, le château d’eau bombardé pendant la guerre.