Salaün Magazine n°7 - page 45

Salaün
Magazine
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REPORTAGE |
Kiev
s'y reposaient ; on se recueillait devant
les modestes et naïfs autels improvisés à
la mémoire des victimes de cette révolu-
tion sanglante qui n'a pas encore compté
ses morts.
Un grand coup de ménage
Mais ce champ de bataille avait pris
aussi, au fil des mois, le visage moins
glorieux d'une fin de kermesse, d'une
cour des Miracles qui aurait échappé à
tout contrôle. Dans des campements indé-
finis ou des stands sans objet, d'anciens
émeutiers semblent traîner une nostalgie
inguérissable, des cosaques désouvrés
plastronnent en attendant de pouvoir
en découdre à nouveau. Sur cette place
prise en otage, on croisait des hommes en
armes, dans des uniformes approximatifs,
qui erraient sans but ou à la recherche
d'une bière, d'un verre de vodka ou d'une
partie de cartes.
Près de l'entrée d'une luxueuse galerie
marchande - qui n'a jamais cessé son
activité tout au long des événements - des
fidèles orthodoxes avaient aménagé une
chapelle sous une tente. Un pope y célébrait
son office dans l'indifférence générale.
Un sentiment d'indifférence générale. C'est
peut-être ce qui caractérisait le mieux,
en ce printemps 2014, l'ambiance de la
Maïdan. Kieviens en promenade, touristes
en visite, révolutionnaires nostalgiques,
traîneurs de sabre désouvrés, clochards
opportunistes se croisaient sans se par-
ler. Comme si les uns n'avaient rien à
apprendre et les autres rien à expliquer.
La place de l'Indépendance était devenue
le théâtre pitoyable d'une révolution qui
n'avait pas su tirer le rideau final. Et qui
sombrait, au fil des mois, dans une farce
glauque, au cour d'une capitale partagée
entre l'indifférence et la consternation.
Alors que, pendant ce temps, à l'est du
pays, c'était déjà la guerre. La vraie.
Pourtant, le nouveau pouvoir politique
et la municipalité de Kiev hésitaient à
intervenir pour mettre un terme à cette
pitoyable mascarade. Finalement, en
août 2014, c'est la population de la capi-
tale elle-même qui va prendre les choses
en main. Au terme d'une mobilisation
spontanée, des milliers de Kieviens se
retrouvent sur cette place, devenue la
honte de leur ville, et entreprennent d'y
faire un ménage radical. Un ménage qui
ne se déroulera pas sans violences. Dans
tout Ukrainien, il y a un cosaque qui
sommeille.
Mais, au bout du compte, les paumés de
la révolution plient bagages. Les plus
va-t-en-guerre d'entre eux sont même
invités, avec une pointe d'ironie, à aller
prêter main forte à l'armée du pays qui
se bat dans la région de Donetsk contre
des sécessionnistes russes.
La ville qui sourit de son passé
Depuis, et malgré la guerre dans l'Est,
Kiev a retrouvé son charme légendaire
et sa qualité de vie unique. Longtemps
capitale du plus grand pays d'Europe,
quand Iaroslav le Sage en était le maître,
Kiev laisse deviner, sans ostentation, ce
passé prestigieux.
Sans ostentation, car Kiev donne l'impres-
sion d'une ville à l'urbanisme désordonné,
à l'architecture hétéroclite, comme si elle
avait du mal à intégrer toutes les influences
qu'elle a connues et subies. Comme si,
d'une certaine manière, elle payait, dans
ce désordre, la farouche volonté d'indé-
pendance de l'Ukraine. Les Soviétiques y
ont posé leur marque, certes, mais ils n'ont
Michel Salaün sur la place Maïdan.
Plusieurs mois après la révolution,
cette dernière était encore occupée
par des nostalgiques des désordres de
l'hiver 2013-2014.
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