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Si la Sibérie faisait déjà partie de l’Empire russe, au

xix

e

 siècle, elle restait, à l’instar de l’Ouest américain,

un territoire très éloigné du pouvoir, peu contrôlé

et idéal pour y déporter les indésirables. Dans un

monde où les grandes puissances consacraient

des moyens gigantesques pour étendre leurs

empires et sur fond de rivalité croissante avec

l’Angleterre, avec laquelle elle livrait un combat

d’influence en l’Asie centrale, baptisé “le Grand Jeu”,

la Russie se devait de consolider son pouvoir en

Orient. Dans ces régions multiethniques, un scéna-

rio de sécession à l’américaine n’était pas exclu et

il devenait urgent de peupler ces régions difficiles

d’accès mais aussi de conforter les routes postales

vers le Pacifique. De plus, au plus fort de la révolu-

tion industrielle, le train constituait la vitrine la plus

spectaculaire de la puissance d’un État, à l’instar

de ce que serait la conquête de l’espace un siècle

plus tard. Dans les deux cas, les deux seules puis-

sances à même de financer et mener à bien des

projets d’une ambition inouïe furent les États-Unis

et la Russie.

C’est en 1871 que le tsar Alexandre III lança le chan-

tier du Transsibérien, de l’Oural au Pacifique. La

construction du plus long chemin de fer du monde

posait des problèmes considérables. Rivières

innombrables, forêts épaisses, montagnes, sols

tour à tour gelés et détrempés, marais et mous-

tiques : autant de défis titanesques à relever pour

les ingénieurs russes. Construire la plus grande

ligne de chemin de fer au monde dans des régions

quasi inhabitées nécessitait de plus de faire venir

des populations de tout l’empire, des étrangers,

notamment chinois, mais aussi des bagnards, et

veiller à l’approvisionnement des hommes et des

matériaux.

Autour du Baïkal, les ingénieurs russes feront per-

cer des dizaines de tunnels et construire une cen-

taine de ponts. En attendant l’achèvement de ce

tronçon, des ferries brise-glace achemineront les

voyageurs et les trains sur l’autre rive du lac.

Mis partiellement en service en 1898, le Transsi-

bérien fascine le monde entier lors de l’Exposition

universelle de 1900 à Paris. Au-delà de la prouesse

technique, le chemin de fer va favoriser l’essor

démographique et économique de l’Extrême-

Orient russe. Les nouveaux arrivants se comptent

par millions entre la fin du xix

e

et la guerre 1914. Le

Transsibérien va surtout permettre à la Russie

d’exploiter massivement les ressources de la Sibé-

rie, en fer, en charbon, en bois et plus tard en gaz

et pétrole. Tout au long du parcours du train, des

usines, des centres urbains majeurs avec leurs uni-

versités vont drainer une population qualifiée qui

changera radicalement le visage de la Sibérie. Si

la déportation de millions de personnes vers les

goulags sibériens sous Staline a accentué l’image

négative d’une région au climat hostile, la Sibérie

devint pourtant rapidement une région civilisée

qui vit sa population tripler en quelques décennies.

Les populations locales, Bouriates, Yakoutes, Evenk

et autres peuples autochtones de Sibérie — on en

dénombre une soixantaine ! — régressèrent en s’in-

tégrant au monde russe.

Le Transsibérien a joué un rôle économique mais

aussi politique dans l’histoire russe. Les cheminots

disposaient en effet d’un pouvoir immense, celui

de paralyser le pays en cas de grève. Souffrant de

conditions de travail difficiles, fortement syndiqués,

les cheminots jouèrent également un rôle décisif

dans la révolution bolchevique.

LA CONQUETE

DE L’EST

Construction de tunnels sur

la portion de voie ferrée qui

longeait autrefois le Baïkal,

utilisée aujourd’hui pour un train

touristique, le Circumbaïkal. Le

poète Blaise Cendrars, auteur

de

La prose du Transsibérien

faisait partie des voyageurs du

tour premier convoi à longer les

berges du lac. Auparavant, on le

traversait en bateau.