Salaün
Magazine
| Page 86
Q
uiconque découvre la
Croatie des années 2010
a du mal à croire qu’une
guerre terrible a ravagé
une partie de ce pays il
y a moins de 30 ans. Les
inoubliables joyaux véni-
tiens de l’Istrie, les traver-
sées vers les îles de Rab, Pag, Pašman ou
Murter, la découverte de superbes villes
médiévales comme Šibenik ou Trogir ou
encore la silhouette de l’archipel des Kor-
nati dans le couchant ont vite fait d’effa-
cer les stigmates et les mots qui tentent
d’expliquer ce conflit. Comme disparaît
chaque jour un peu plus le souvenir de
la Yougoslavie. La Croatie est devenu un
pays à part entière, qui se visite désor-
mais comme tel, y compris à l’occasion
de courts séjours pour découvrir les villes
superbes, et bien reliées aux aéroports
français, que sont Dubrovnik, Zagreb,
Split ou Zadar.
C’est toutefois par le nord de la Croa-
tie et la fière péninsule de l’Istrie que la
plupart des voyageurs entrent dans le
pays. La capitale touristique de l’Istrie,
maritime, riante et apprêtée, est sans
conteste Rovinj. C’est une des cités les
plus visitées de Croatie. Pourtant, comme
l’ensemble de l’Istrie, dont une partie est
aujourd’hui en Slovénie et en Italie, Ro-
vinj défend sa différence. Elle entretient
même une certaine rivalité vis-vis de la
région croate de Dalmatie, plus au sud.
Construite sur un éperon rocheux, qui
était encore une île au
xvi
e
siècle, Rovinj
est une ancienne cité illyrienne. Elle fut
conquise par l’Empire romain avant d’être
colonisée par les Slaves, puis de se pla-
cer sous la protection de Venise jusqu’à
sa chute, en 1797. Les murailles défen-
sives de Rovinj, destinées à protéger ses
citoyens des invasions turques, ainsi que
ses trois portes monumentales font partie
des témoignages les plus spectaculaires
de la période vénitienne. Passée sous do-
mination austro-hongroise au
xix
e
siècle,
Rovinj connut alors à la fois une phase
de modernisation mais aussi de déclin,
car l’empire favorisa les villes voisines
de Trieste, Pula et Rijeka. Le déclin fut
cependant compensé par l’avènement du
tourisme au
xx
e
siècle.
Il suffit d’une promenade dans le lacis
de ruelles qui s’élèvent vers la cathédrale
Sainte-Euphémie pour mesurer à quel
point les piliers de l’histoire économique
de la ville soutiennent encore la vie de
la cité. La pêche d’abord, car Rovinj est
restée un des principaux ports de pêche
croates. Le patrimoine et les traditions
maritimes, notamment musicales, font
d’ailleurs la fierté de ses habitants. Tout
aussi présente, la pierre, qui a fait la ri-
chesse de la ville et lui donne la même
splendeur minérale que Venise, bâtie
elle aussi avec la pierre des environs de
Rovinj. Le commerce enfin, car Rovinj a
gardé, du temps de Venise, l’âme d’une
ville marchande, plus ouverte aux in-
fluences extérieures et à l’Europe que
d’autres cités croates.
S’ils sont en majorité d’origine slave,
les habitants de Rovinj et de l’Istrie sont
encore très influencés par leur proximité
avec l’Italie et par la présence depuis tou-
jours d’une large population italienne qui
y a gardé sa culture. On l’estime à 12 %
de la population totale. L’Istrie est d’ail-
leurs une région officiellement bilingue,
de langues croate et italienne et des pan-
neaux bilingues attestent cette double
appartenance. En été, les Italiens sont
légions sur la péninsule, située à trois
heures de route de Venise.
En Istrie, comme dans tout le nord de
REPORTAGE |
La Croatie