Salaün
Magazine
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Aujourd’hui, nous sommes vraiment entrés dans le vif du sujet : 300
kilomètres pour rejoindre Hovd, une ville de 90 000 habitants, dans le
sud-est d’Olgii, à la limite de la zone d’influence kazakh. 300 kilomètres
qui nous ont donné une idée de ce que sera notre semaine en Mongolie.
On est vraiment sur de la piste, avec des rivières à franchir, des voies se-
condaires qu’il faut savoir choisir pour éviter la route officielle complète-
ment défoncée ou obstruée par des travaux. Mais l’inconfort, la peur de
la casse ou de la crevaison – Boris a donné le coup d’envoi en la matière
– sont largement compensées par la beauté des paysages et des ciels
et par le spectacle qu’offre une route qui traverse un pays que l’on croit
désertique. On y croise les bergers et leurs troupeaux ; des chameaux
hargneux ; des camionneurs aux nerfs d’acier au volant de camions épui-
sés ; des ouvriers sur des chantiers qui semblent ne jamais avoir de fin ;
des petits villages de yourtes ; des minibus surchargés qui mettent plus
de 70 heures, en roulant jour et nuit, à parcourir les 1600 kilomètres
qui séparent Ulan-Bator de Olgii… Et puis en cette veille d’élections
législatives – en Mongolie aussi ! – la steppe est parcourue par les cara-
vanes de différents candidats, qui viennent là récupérer quelques voix
éparses et tiennent meeting au milieu des chevaux et des vaches devant
un public venu des yourtes voisines… On peut vraiment parler de candi-
dats en campagne ! Et partout, cette même gentillesse. On nous salue,
les enfants courent vers nous… Les sourires sont sur tous les visages.
Le soir, nous sommes hébergés dans un camp de yourtes, aménagées
pour accueillir les voyageurs et les touristes, à quelques kilomètres de
Hovd. L’ensemble est rustique – deux heures d’électricité par jour – mais
les yourtes sont coquettes et l’accueil de la famille qui a imaginé cette
activité, très sympathique. Seul le lit s’est montré peu accueillant pour
nos dos déjà soumis à rude épreuve ! Un peu moins de 450 kilomètres
aujourd’hui, 600 le lendemain…Ces étapes nous rappellent que la Mon-
golie est immense. Celle d’aujourd’hui, qui nous a conduits jusqu’à Altai,
nous a rappelé que ce pays n’était pas un paradis pour berger épris de
liberté. Perdue dans ses paysages grandioses, mise lumière par un ciel
caractériel qui semble tout à tour la dominer et la sublimer, la Mongolie
sait aussi se montrer austère, âpre.
Au fur et à mesure que nous descendions vers Altay, les pâturages qui
verdissent le fond des plateaux, se nourrissant de rivières et de lacs, se
font plus rares, laissant la place à un désert de pierres, dans lesquelles
les yourtes perdent leur superbe isolement et se blottissent autour de
maisons basses serrées derrière des murs montés de pierres sèches. La
piste est tout simplement épouvantable et dangereuse. Des saignées
invisibles, creusées par des pluies d’orage, la coupent quand on s’y
attend le moins.
La piste sous l’orage
La voiture y plonge et en ressort en faisant des bonds de chèvres en
chaleur. On croise les bus qui viennent d’Ulan-Bator. Dans un restaurant
minimaliste, nous avons rencontré des jeunes passagers de l’une de ces
diligences d’autrefois. Ils profitaient d’une halte pour boire un thé. Ils
avaient quitté Ulan-Bator vendredi après-midi et espéraient arriver à
Oglii lundi en fin de matinée. Peut-être même un peu avant… On se
range toujours et encore sur le bord de la piste pour laisser passer ces
camions qui négocient au pas les plus mauvais passages, dans le grince-
ment de leurs amortisseurs. Une quarantaine de kilomètres avant Altai,
nous sommes pris dans un orage impressionnant. Il planait au-dessus de
nous depuis plusieurs heures, accroché à sa montagne. En quelques se-
condes le thermomètre a perdu 16° et la poussière s’est transformée en
gadoue. On ne sait pas ce qui est le mieux. Ou le pire. L’arrivée sur Altai
a donc été un peu triste. La ville ne s’offrait pas sous son meilleur jour.
Si l’on peut dire. Car on se demande s’il lui arrive d’offrir un bon jour.
Elle est triste, négligée. Et en ce dimanche soir, où la seule distraction
semble être le karaoké, l’ennui transpire dans les rues. Des mesures de
police ont interdit l’alcool dans plusieurs bars, restaurants et hôtels de la
ville. Ce soir, le spectacle de la rue montrait que l’efficacité de cette pro-
hibition n’était pas évidente. On n’a pas envie de traîner le soir à Altai.
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Extrait du carnet de route >>>>> >>>>> >>>>> >>>>> 16-18 juin. Mongolie. Agatch-Olgii-Hovd AltaY
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