Salaün Magazine N°6 - page 24

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ment maitrisé au moyen de terrasses de
contention. Encore plus qu'à Pisac, la
configuration abrupte du terrain et la
taille monumentale des pierres pose la
question du « comment ? ». Malgré les
connaissances historiques actuelles, le
spectacle défie l'imagination. On sait que
les immenses blocs de granit rose étaient
partiellement taillés dans les carrières,
puis transportés sur le fleuve. Sur des
plans inclinés faits de rondins de bois
ou de pierre, ils étaient ensuite hissés et
poussés par des milliers d'hommes. Les
pierres étaient ensuite soigneusement
polies et ajustées les unes aux autres.
Simplement stupéfiant.
La partie du village qui entoure la place
centrale a conservé son aspect originel :
le pavage, les rigoles d'écoulement des
eaux usées au milieu des ruelles et les
habitations d'adobe construites sur les
bases de pierres de l'ancien village inca.
Ces dernières années, Ollantaytambo a vu,
comme tout le reste de la vallée, sa fré-
quentation touristique s'élever, les cafés
internet se multiplier et les téléphones
portables envahir les communautés avoi-
sinantes. Mais il suffit parfois de pousser
une porte pour se retrouver hors du temps.
Gabriella, ma guide, qui sillonne la vallée
sacrée depuis son enfance, se faufile entre
deux restaurants animés et m'entraine au
fond d'une cour. Nous pénétrons dans
une pièce sombre, éclairée d'une simple
ampoule. Dans un de ses coins, une femme
file de la laine. De l'autre coté, serrés l'un
contre l'autre sur des petits bancs, trois
hommes avalent lentement leur bol de
chicha en regardant une série romantique
brésilienne sur un vieux téléviseur. De
l'autre coté de la pièce, la tenancière, Dona
Julia, silencieuse derrière ses lunettes,
brasse consciencieusement une grande
jarre de chicha.
Dehors, le soleil disperse ses derniers
rayons sur les sommets enneigés. La
nuit tombe sur Ollantaytambo. Le rio
Urubamba poursuit son cours tumultueux
vers l'Amazonie. Pour certains touristes,
les plus courageux, il est l'heure d'aller
dormir. Demain, ils se lanceront pour
une marche de quatre jours sur l'ancien
sentier inca, dont les cent trente kilomètres
reliaient Cusco au Machu Picchu. Pour ma
part, je vais trainer encore un moment
dans ce bar à chicha. C'est par le train
que je rejoindrai demain le site mythique.
La cité suspendue
Point d'orgue d'un voyage au Pérou,
Machu Picchu ne vole pas sa réputation.
Même au quatrième rendez-vous, en ce qui
me concerne, il dégage toujours la même
puissance, la même force évocatrice, le
même sentiment de mystère.
Le nom de cette cité céleste avait été
évoqué, sans qu'il s'y soit rendu, par
l'explorateur français Charles Wiener,
dans son livre Pérou et Bolivie, récit de
Voyage, publié en 1880. Mais il fallut
attendre 1911 et la venue d'un explorateur
américain, Hiram Bingham, pour que le
célèbre site soit enfin arraché à la jungle.
Bingham parcourait le Pérou à la recherche
de Vilcabamba, la cité perdue des Incas,
le dernier refuge de Manco Inca, après la
déroute qui suivit la rébellion de 1536.
Il y a deux façons d'appréhender ce pro-
montoire qui comporte plus de deux cents
structures d'édifices. On peut caler ses pas
dans ceux d'un guide qui vous révèlera les
différentes théories concernant l'origine
et la raison d'être du site, l'organisation
sociale des Incas, la fonction précise de
telle ou telle pierre, etc. Mais on peut
aussi prendre son courage à deux pieds
et grimper jusqu'à la porte du soleil pour
embrasser d'un seul regard l'ensemble
du site, redescendre le chemin tortueux
afin d'éprouver l'ivresse du vide sur le
pont de l'Inca, pousser jusqu'au Huayna
Pichu, le majestueux pic à jamais gravé
dans l'inconscient collectif, fermer les
yeux, se laisser envahir par les émotions,
s'imprégner des forces telluriques du lieu,
et laisser courir son imagination.
Les Incas ignoraient l'écriture et n'ont
laissé aucun document permettant de
connaître les secrets de la construction
de Machu Picchu. Malgré les efforts opi-
niâtres des archéologues et des historiens,
En haut, les salines de Maras offrent
le spectacle étonnant de 4 000 bassins
d'évaporation au fond desquels le sel
est raclé avec une petite planchette,
avant d'être transporté à dos d'homme
jusqu'à la coopérative. En bas, les
terrasses concentriques de Moray où
les Incas pratiquaient des expériences
de culture. Page de droite, dans le
village d'Ollantaytambo : l'arrivée des
téléphones portable et d'internet a
considérablement changé la vie des
communautés isolées.
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