Salaün
Magazine
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laient autrefois les armadas de pêcheurs
qui affluaient chaque hiver de toutes les
côtes norvégiennes pour la grande pêche
du cabillaud. Aujourd’hui reconvertis en
gîtes, ils pigmentent le paysage, et font
vivre aux touristes l’expérience d’une
berceuse inaccoutumée : celle des flots
qui, à marée haute, viennent s’engouffrer
là, juste sous votre matelas, pour chanter
leur clapotis nocturne. Une expérience
magique, parfois pimentée par le voisi-
nage des mouettes, qui piaillent à tue-tête
tant que le soleil n’est pas couché, c’est-
à-dire jamais durant l’été.
Sur les hauteurs du village, là où les tou-
ristes de passage sont invités à stationner,
des milliers de têtes de cabillauds sèchent
encore au vent marin sur de gigantesques
tréteaux de bois à flanc de falaise.
La scène claque l’œil et attire tous les
photographes. Mais derrière l’image de
carte postale, voici résumée la culture
des Lofoten, fief de la morue séchée, qui
est à la fois une économie, un mode de
vie et tout un symbole. Car dans ce petit
bout du monde, les hommes perpétuent
la tradition ancestrale de la pêche au nec
plus ultra de la famille des cabillauds, le
skrei. Skrei comme « j’avance », du mot
viking «
skrida
».
Le skrei comme emblème
Fidèle à son patronyme, ce grand migra-
teur s’avale chaque année entre 1000 et
2000 kilomètres depuis les eaux glaciales
de la mer de Barents pour venir frayer
dans son berceau natal. Nourri au fil de
son périple de capelans (un petit poisson
des mers arctiques) et de krill (de petites
crevettes d’eaux froides), il offre à son
retour une chair musclée et nacrée, une
silhouette plus pointue et une peau plus
colorée que ce sédentaire de cabillaud
côtier.
Pour bien mesurer l’importance de cette
pêche, il faut prendre le temps de visiter
le Lofoten Tørrfisk Museum, situé à Sør-
vågen, à la sortie de Å. « L’unique musée
du monde de poisson séché», annonce la
brochure remise à l’entrée. On n’est pas
déçu. Du bois partout, un plancher et un
escalier qui craquent, le lieu sur deux
étages respire l’authenticité, et tout est
bien exposé et expliqué. En prime, l’hôte
parle français et n’a pas son pareil pour
vous présenter, avec force détails, tous les
outils anciens qui permettaient de prépa-
rer la morue séchée. Si les instruments
et machines sont de nos jours plus mo-
dernes, les méthodes de préparation n’ont
guère changé. C’est au rez-de-chaussée
que sont présentées les tables de triage
sur lesquelles le poisson pêché en hiver
était vidé, écaillé et rincé avant d’être
assemblé. Un lien enfilé sur deux queues
à la fois et, en un tour de main, les deux
cabillauds étaient fin prêts à être dispo-
sés sur les séchoirs à l’extérieur… afin de
sécher lentement au bon air de l’archipel.
Le poisson est pendu sur son séchoir
entre février et mai, puis les poissons
séchés sont stockés et triés consciencieu-
sement. «Attention, avertit notre hôte.
N’est pas skrei qui veut ». La sélection
est même sans pitié. Environ 30 % de la
pêche seulement portera l’appellation. Le
reste finit ses jours sous le simple nom
de cabillaud. Ceux qui sont tachés ou
ICI, PAS DE BÉTON,
ET BIEN PEU
D
’
INFRASTRUCTURES HÔTELIÈRES.
REPORTAGE |
Les îles Lofoten
Page de gauche : le séchage des morues sur les « hjellers ».
Ci-dessus : Nusfjord, l’un des villages les plus anciens et les mieux préservés de Norvège, est inscrit sur la liste des sites à conserver par l’Unesco.