Table of Contents Table of Contents
Previous Page  79 / 116 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 79 / 116 Next Page
Page Background

Salaün

Magazine

| Page 79

laient autrefois les armadas de pêcheurs

qui affluaient chaque hiver de toutes les

côtes norvégiennes pour la grande pêche

du cabillaud. Aujourd’hui reconvertis en

gîtes, ils pigmentent le paysage, et font

vivre aux touristes l’expérience d’une

berceuse inaccoutumée : celle des flots

qui, à marée haute, viennent s’engouffrer

là, juste sous votre matelas, pour chanter

leur clapotis nocturne. Une expérience

magique, parfois pimentée par le voisi-

nage des mouettes, qui piaillent à tue-tête

tant que le soleil n’est pas couché, c’est-

à-dire jamais durant l’été.

Sur les hauteurs du village, là où les tou-

ristes de passage sont invités à stationner,

des milliers de têtes de cabillauds sèchent

encore au vent marin sur de gigantesques

tréteaux de bois à flanc de falaise.

La scène claque l’œil et attire tous les

photographes. Mais derrière l’image de

carte postale, voici résumée la culture

des Lofoten, fief de la morue séchée, qui

est à la fois une économie, un mode de

vie et tout un symbole. Car dans ce petit

bout du monde, les hommes perpétuent

la tradition ancestrale de la pêche au nec

plus ultra de la famille des cabillauds, le

skrei. Skrei comme « j’avance », du mot

viking «

skrida

».

Le skrei comme emblème

Fidèle à son patronyme, ce grand migra-

teur s’avale chaque année entre 1000 et

2000 kilomètres depuis les eaux glaciales

de la mer de Barents pour venir frayer

dans son berceau natal. Nourri au fil de

son périple de capelans (un petit poisson

des mers arctiques) et de krill (de petites

crevettes d’eaux froides), il offre à son

retour une chair musclée et nacrée, une

silhouette plus pointue et une peau plus

colorée que ce sédentaire de cabillaud

côtier.

Pour bien mesurer l’importance de cette

pêche, il faut prendre le temps de visiter

le Lofoten Tørrfisk Museum, situé à Sør-

vågen, à la sortie de Å. « L’unique musée

du monde de poisson séché», annonce la

brochure remise à l’entrée. On n’est pas

déçu. Du bois partout, un plancher et un

escalier qui craquent, le lieu sur deux

étages respire l’authenticité, et tout est

bien exposé et expliqué. En prime, l’hôte

parle français et n’a pas son pareil pour

vous présenter, avec force détails, tous les

outils anciens qui permettaient de prépa-

rer la morue séchée. Si les instruments

et machines sont de nos jours plus mo-

dernes, les méthodes de préparation n’ont

guère changé. C’est au rez-de-chaussée

que sont présentées les tables de triage

sur lesquelles le poisson pêché en hiver

était vidé, écaillé et rincé avant d’être

assemblé. Un lien enfilé sur deux queues

à la fois et, en un tour de main, les deux

cabillauds étaient fin prêts à être dispo-

sés sur les séchoirs à l’extérieur… afin de

sécher lentement au bon air de l’archipel.

Le poisson est pendu sur son séchoir

entre février et mai, puis les poissons

séchés sont stockés et triés consciencieu-

sement. «Attention, avertit notre hôte.

N’est pas skrei qui veut ». La sélection

est même sans pitié. Environ 30 % de la

pêche seulement portera l’appellation. Le

reste finit ses jours sous le simple nom

de cabillaud. Ceux qui sont tachés ou

ICI, PAS DE BÉTON,

ET BIEN PEU

D

INFRASTRUCTURES HÔTELIÈRES.

REPORTAGE |

Les îles Lofoten

Page de gauche : le séchage des morues sur les « hjellers ».

Ci-dessus : Nusfjord, l’un des villages les plus anciens et les mieux préservés de Norvège, est inscrit sur la liste des sites à conserver par l’Unesco.