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Salaün

Magazine

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du caillou le plus célèbre du monde est

interrompue. Sur ordre du comman-

dant, nous devons regagner au plus

vite le paquebot. Le temps continue de

se dégrader et, en quelques minutes, le

mouillage peut devenir intenable et les

transbordements dangereux.

Trente minutes plus tard, nous nous re-

trouvons dans la chaleur de la salle de

restaurant, devant un petit-déjeuner à la

hauteur d’un appétit de cap-hornier.

Car la journée n’est pas finie. L’après-

midi nous réserve une des plus belles

surprises de cette croisière au bord de la

terre : la découverte de la baie de Wu-

laia, sur l’île de Navarino. On a coutume

de dire que l’enfer n’est jamais loin du

paradis. C’est le cas aujourd’hui. Dis-

tante de moins de 150 km du diabolique

cap Horn, la baie de Wulaia apparaît

comme un petit éden, avec une végéta-

tion étonnamment dense et variée, des

mouillages bien abrités… Un petit golfe

du Morbihan qui aurait oublié l’été.

À la suite de nombreux autres navi-

gateurs, Robert FitzRoy sut profiter du

calme rassurant de ce havre pour marins

en quête de repos. Nous repartons sur

ses traces et celles de Charles Darwin.

La compagnie Australis a intelligem-

ment aménagé l’accueil en cet endroit.

Des chemins balisés, un petit musée, un

étiquetage discret des plantes du pays

facilitent la découverte de cet endroit

attachant.

Au moment de remonter dans les Zodiac,

nos précieux barmen nous attendent à

nouveau, derrière un comptoir de for-

tune, avec quelques boissons réconfor-

tantes. La croisière abuse !

FitzRoy, en son temps, n’avait pas eu

le droit à de tels égards. Les indiens

Yagan – des pêcheurs plutôt pacifiques,

par ailleurs – appréciaient assez peu ces

intrusions étrangères qui leur laissaient,

à chaque fois, de mauvais souvenirs. Les

relations étaient parfois tendues. L’his-

toire a retenu l’extermination quasi to-

tale de l’équipage d’un navire américain,

armé par des missionnaires américains.

FitzRoy s’en était, quant à lui, plutôt

bien sorti, ne perdant dans l’aventure

qu’une simple baleinière. Lors de sa pre-

mière expédition, intrigué par ce peuple

qui vivait nu dans ces terres glaciales,

sous la simple protection d’une couche

d’huile de baleine ou de phoque, il réus-

sit à embarquer et à ramener à Londres

quatre indigènes. L’un d’entre eux –

Jemmy Button – devint célèbre en An-

gleterre, avant d’être ramené sur sa terre

natale par FitzRoy lui-même, lors de sa

deuxième expédition en compagnie de

Charles Darwin. Jemmy Button reprit

bien vite ses habitudes ancestrales et

devint une sorte de chef de tribu connu

de tous les explorateurs, auxquels il ser-

vait d’interprète.

On dit que cette expérience changea le

regard que FitzRoy portait sur ces tribus

indigènes de Patagonie, que la fréquen-

tation forcée des colons et missionnaires

venus d’Europe finit par détruire. « Ces

hommes », comme les baptisa l’écrivain

français Jean Raspail dans un superbe

roman

(1)

.

De retour sur le

Stella Australis

, nous

avons juste le temps de nous préparer

pour la dernière soirée à bord, avec un

brin de nostalgie.

Au bar, les verres des nouvelles ami-

tiés se succèdent, tandis qu’en bas, au

restaurant, on met déjà les petits plats

dans les grands. Ce dîner sera le cou-

ronnement de quatre jours d’une gas-

tronomie conviviale et de qualité. Pour

le déjeuner, des buffets variés et plan-

tureux ; pour le dîner, des menus servis

à table et toujours harmonieusement

composés autour d’un plat choisi entre

viande et poisson… Au fil des milles, les

convives avaient appris à se connaître et

DISTANTE DE MOINS DE 150 KM DU

DIABOLIQUE CAP HORN,

LA BAIE

DE WULAIA APPARAÎT COMME UN

PETIT ÉDEN, AVEC UNE VÉGÉTATION

ÉTONNAMMENT DENSE ET VARIÉE,

DES MOUILLAGES BIEN ABRITÉS

REPORTAGE |

Argentine