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iran

Salaün

Magazine

| Page 61

a nuit est tombée sur l’immense place Naghsh-e Jahan, à

Ispahan. La grande mosquée de l’imam lance dans un ciel

bleu sombre les deux minarets qui encadrent son colossal

portique d’entrée, couvert de faïences lumineuses. Dans les

jardins et sur les petits murets qui encadrent la place, des

familles entières s’adonnent à la distraction favorite des Ira-

niens : le pique-nique.

Sur de petits réchauds, les brochettes finissent de cuire et la

bouilloire attend la pincée de thé. Les pâtisseries gorgées de

sucre passent de main en main dans une ambiance paisible,

à peine troublée par le trot léger des chevaux qui tirent les

calèches d’un bout à l’autre de la place, le long des bassins

aux jets d’eau multicolores.

pique

-

nique en famille

Dans cette ambiance familiale, on aurait presque peur de dé-

ranger… Il ne faut pas ! Lorsque l’on passe devant elle, toute

la famille vous salue chaleureusement et s’efforce de nouer

un dialogue que la barrière de la langue pourrait rendre im-

possible si les sourires chaleureux et les yeux qui brillent de

joie ne savaient se substituer avec bonheur aux mots.

Très souvent, on vous invite à venir partager une tasse de thé,

une friandise, quelques pistaches… Là, c’est le père de famille

qui est venu vers nous, bientôt rejoint par ses trois enfants

qui nous regardent avec de grands yeux curieux et pétillants.

Restées assises, les femmes sourient elles aussi et nous in-

vitent d’un geste de la main à rejoindre le cercle familial et

à venir savourer avec eux cette soirée magique, tout droit

sortie d’une page des

Mille et Une Nuits

.

Cette hospitalité, nous la vérifierons tout au long de notre

périple, qui nous conduisit par la route de Chiraz à Téhéran,

en passant par Persépolis, Ispahan, Kachan, Qom; nous fit

traverser d’interminables paysages désertiques battus par les

vents, brûlés par le soleil ; nous apprit à apprécier la douce

fraîcheur de villes sublimes blotties dans des oasis et ornées

de palais orgueilleux et de mosquées lancées à la conquête

du ciel.

le vol des corbeaux

Nous découvrirons aussi, avec un plaisir particulièrement

subtil, un autre trait de caractère des Iraniens, ou plus exac-

tement des Iraniennes : leur tempérament bien trempé et leur

malicieuse et habile effronterie.

Car elle n’est pas toujours drôle, la vie des Iraniennes. Alors

que le pouvoir des mollahs manifeste ouvertement un certain

laxisme et une réelle complaisance à l’égard des hommes, qui

règnent en maîtres absolus sur cette société machiste, il fait

preuve d’une rigueur et d’une sévérité choquantes à l’égard

des femmes.

Elles en souffrent sûrement, mais elles savent aussi défier

sans provocation mais inlassablement cet ordre moral face

auquel leur soumission – en tout cas celle des jeunes femmes

qui vivent dans les villes – n’est plus que de façade.

Cette petite scène en témoigne. Elle se déroule dans le jardin

Bagh-e Tarikhi Fin à Khazan. Arraché à une terre aride et

rocailleuse, ce jardin est une pure merveille, le plus beau – as-

sure-t-on – d’Iran. Lui aussi trouverait sa place dans un livre

de contes orientaux. Des jardiniers particulièrement inspirés

ont aménagé ses parterres et ses bassins, planté ses arbres

et ses buissons fleuris autour d’une source d’eau fraîche et

abondante.

C’est une promenade appréciée des Iraniens qui y viennent

en famille et l’on y déambule dans une joyeuse cohue.

Au détour d’une allée, une jeune fille vient vers nous et nous

aborde sans détour. Elle souhaite se faire photographier, elle

et son amie, en notre compagnie et nous demande si nous

sommes d’accord. Sa mère prendra la photo.

Bien sûr que nous sommes d’accord, même si nous avons un

peu de mal à comprendre l’intérêt que deux vieux chinchards

comme nous peut présenter pour d’aussi charmantes jeunes

Soirée familiale et pique-nique sur la place Naghsh-e Jahan, au pied

de la Grande mosquée. Le promeneur est toujours le bienvenu.

L