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notre

coup

de

cœur

|

michel

le

bris

Salaün

Magazine

| Page 107

le vieux soixante-huitard, ici, qui parle – autrement dit devant

l’événement. Le surgissement de quelque chose d’autre qui

résiste, casse le cours de l’histoire, et ce faisant, fait l’Histoire :

voilà ce qui ouvre le champ du romanesque.

y a

-

t

-

il encore un ailleurs

?

D’abord, juste une remarque : regarder la personne qui vous fait

face dans les yeux, regardez-la vraiment et vous découvrirez

dans ses yeux des univers que vous pouvez approcher, mais

dans lesquels vous ne rentrerez jamais, et c’est cette expérience

de “l’Ailleurs de l’Autre” qui signe notre entrée en humanité.

Et puis : c’est juste aumoment où les beaux esprits soupiraient

qu’il n’y avait plus d’ailleurs, mais partout un universMac

Donald- Coca Cola, que lemonde a commencé à basculer, à

disparaître et avec lui une bonne part de nos cadresmentaux,

tandis qu’un autremonde commençait à surgir, inquiétant,

fascinant. Et il n’y aurait plus d’ailleurs ?

qu

est

-

ce qui pousse à voyager

?

C’est notre rapport à l’Autre et à l’Ailleurs qui signe notre entrée

en humanité. Nous sommes des êtres curieux de tout, pressés

d’aller voir ce qui nous attend de l’autre côté de l’horizon…

parmi tous les lieux que vous avez rêvés pour

les raconter

,

lesquels préférez

-

vous

?

Je les préfère tous – parce que pour pouvoir écrire une scène

en un lieu donné, il faut que je le voie en imagination, ce lieu, et,

magnifique ou terrifiant, dans l’instant où je le rêve, où je le porte,

le fait naître, il est mon préféré.

qu

est

-

ce qui vous fascine dans les années

20

et les débuts du cinéma

?

J’y suis entré par le jazz – celui de Duke Ellington, en son époque

de style “jungle”, East Saint-Louis Toodle O, la Black and Tan

fantasy, TheMooche, avec les éclats sauvages de la trompette

de Bubber Mileyr, le trombone de “Tricky” SamNanton… Et tout

le reste est venu ensuite. Une époque fabuleuse, au sortir de la

guerre, où tout paraît possible. Et d’abord pour les femmes. Avec

un enthousiasme, une gaîté, un appétit de vivre extraordinaire.

La Prohibition a été une chance, en créant un climat généralisé

d’illégalisme, propice aux transgressions – sans compter que

c’est l’argent des bootleggers, investis dans des clubs, qui a

permis au jazz de rayonner, et que c’est cet argent, aussi, qui a

fait Hollywwod. Le jazz et le cinéma, ce n’est pas rien ! Bref, si

j’additionne le temps consacré à la Beauté dumonde et celui

consacré à Kong, cela fait près une douzaine d’années que j’y

vis, littéralement !

qui sont les schoedsack et cooper

d

aujourd

hui

?

Ça ! Il y en a plein, bien sûr. Tous ceux qui aujourd’hui inventent

le futur. Même si, tout demême, des êtres de ce calibre, ou du

calibre deMarguerite Harrison, autre héroïne du livre, on n’en

trouve pas tous les jours…

la beauté du monde annonçait

K

ong dont les

derniers mots disent la satisfaction d

avoir

réalisé une œuvre

? C’

est votre cas

?

Je ne sais pas : j’ai essayé. J’ai eu parfois ce sentiment, oui. Et

lesmots de Cooper, avant la première de King Kong, sont un peu

lesmiens, aussi, devant mon roman en train de se clore…Gamin,

je regardais, fasciné, de vieuxmarins aux paluches énormes et

tremblantes, rentrer dans des bouteilles, avec une délicatesse

infinie, desmodèles réduits de voiliers, auxmats repliés, qu’ils

redressaient… Et c’était lemonde, le grand large, la rumeur de la

mer, qui rentraient avec eux dans ces bouteilles. C’’est ce que j’ai

tenté, moi aussi : faire entrer unmonde, et le bruissement de ses

fictions, de ses rêves, dans la forme d’un roman…

vous qui avez créé le festival étonnants

voyageurs à saint

-

malo

,

qu

est

-

ce

-

qui vous

étonne encore

?

L’inépuisable créativité des artistes. Dans

Le chant des pistes

,

Bruce Chatwin imagine que lemonde est traversé par des

“lignes de chant” que les hommes doivent parcourir sans cesse

et faire vivre, faute de quoi lemonde s’écroulerait. Quand je

vois chaque année ces centaines d’écrivains venus dumonde

entier qui se découvrent, s’entendent, jeme dis qu’ils sont ces

“coureurs de piste”, qui font se tenir encore lemonde.

quels livres conseillez

-

vous de mettre dans

sa valise

?

Mes derniers coups de cœur. Une série de livres sur lamer

assez époustouflants :

Dans les eaux du grand Nord

de Ian

McGuire,

Le livre de lamer

deMorten Stroknes,

Farallones

Islands

d’Abby Genni.

No Home

, un formidable premier roman

de le Ghanéenne-américaine Yaa Gyasi.

Voyages

de Russell

Banks, bien sûr. Un roman épatant d’Andréi Ivanov,

Le voyage de

Hanuman

. Le dernier roman d’Hubert Haddad,

Premières neiges

sur Pondichéry

.

Avec ces livres-là pour compagnons, vous passerez forcément

un beau voyage !

quel sera votre prochain voyage

?

J’en ai deux en tête – liés tous deux à des projets de livre.

Top secret, donc !

Propos recueillis par Yves Aubert.

Retrouvez la présentation du livre

“Kong”

, le roman monde de

Michel Le Bris

en page 7 de ce magazine.